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bienvenue aux passionnés de littérature discours de harold pinter, prix nobel de littérature extrait du discours prononcé par harold pinter, prix nobel de littérature en 2005. la tragédie du nicaragua s’est avérée être un cas extrêmement révélateur. si je décide de l’évoquer ici, c’est qu’il illustre de facon convaincante la facon dont l’amérique envisage son rôle dans le monde, aussi bien à l’époque qu’aujourd’hui. j’ai assisté à une réunion qui s’est tenue à l’ambassade des états-unis à londres à la fin des années 80. le congrès américain était sur le point de décider s’il fallait ou non donner davantage d’argent aux contras dans la campagne qu’ils menaient contre l’état du nicaragua. j’étais là en tant que membre d’une délégation parlant au nom du nicaragua, mais le membre le plus important de cette délégation était un certain père john metcalf. le chef de file du camp américain était raymond seitz (alors bras droit de l’ambassadeur, lui-même nommé ambassadeur par la suite). père metcalf a dit: «monsieur, j’ai la charge d’une paroisse au nord du nicaragua. mes paroissiens ont construit une école, un centre médico-social, un centre culturel. nous avons vécu en paix. il y a quelques mois une force de la contra a attaqué la paroisse. ils ont tout détruit: l’école, le centre médico-social, le centre culturel. ils ont violé les infirmières et les institutrices, massacré les médecins, de la manière la plus brutale. ils se sont comportés comme des sauvages. je vous en supplie, exigez du gouvernement américain qu’il retire son soutien à cette odieuse activité terroriste.» raymond seitz avait très bonne réputation, celle d’un homme rationnel, responsable et très bien informé. il était grandement respecté dans les cercles diplomatiques. il a écouté, marqué une pause, puis parlé avec une certaine gravité. « père, dit-il, laissez-moi vous dire une chose. en temps de guerre, les innocents souffrent toujours.» il y eut un silence glacial. nous l’avons regardé d’un œil fixe. il n’a pas bronché. les innocents, certes, souffrent toujours. finalement, quelqu’un a dit: «mais dans le cas qui nous occupe, des «innocents» ont été les victimes d’une atrocité innommable financée par votre gouvernement, une parmi tant d’autres. si le congrès accorde davantage d’argent aux contras, d’autres atrocités de cette espèce seront perpétrées. n’est-ce pas le cas? votre gouvernement n’est-il pas par là même coupable de soutenir des actes meurtriers et destructeurs commis sur les citoyens d’un état souverain?» seitz était imperturbable. «je ne suis pas d’accord que les faits, tels qu’ils nous ont été exposés, appuient ce que vous affirmez là», dit-il. alors que nous quittions l’ambassade, un conseiller américain m’a dit qu’il aimait beaucoup mes pièces. je n’ai pas répondu. je dois vous rappeler qu’à l’époque le président reagan avait fait la déclaration suivante: «les contras sont l’équivalent moral de nos pères fondateurs.» les états-unis ont pendant plus de quarante ans soutenu la dictature brutale de somoza au nicaragua. le peuple nicaraguayen, sous la conduite des sandinistes, a renversé ce régime en 1979, une révolution populaire et poignante. les sandinistes n’étaient pas parfaits. ils avaient leur part d’arrogance et leur philosophie politique comportait un certain nombre d’éléments contradictoires. mais ils étaient intelligents, rationnels et civilisés. leur but était d’instaurer une société stable, digne, et pluraliste. la peine de mort a été abolie. des centaines de milliers de paysans frappés par la misère ont été ramenés d’entre les morts. plus de 100.000 familles se sont vues attribuer un droit à la terre. deux mille écoles ont été construites. une campagne d’alphabétisation tout à fait remarquable a fait tomber le taux d’analphabétisme dans le pays sous la barre des 15%. l’éducation gratuite a été instaurée ainsi que la gratuité des services de santé. la mortalité infantile a diminué d’un tiers. la polio a été éradiquée. les états-unis accusèrent ces franches réussites d’être de la subversion marxiste-léniniste. aux yeux du gouvernement américain, le nicaragua donnait là un dangereux exemple. si on lui permettait d’établir les normes élémentaires de la justice économique et sociale, si on lui permettait d’élever le niveau des soins médicaux et de l’éducation et d’accéder à une unité sociale et une dignité nationale, les pays voisins se poseraient les mêmes questions et apporteraient les mêmes réponses. il y avait bien sûr à l’époque, au salvador, une résistance farouche au statu quo . j’ai parlé tout à l’heure du «tissu de mensonges» qui nous entoure. le président reagan qualifiait couramment le nicaragua de «donjon totalitaire». ce que les médias, et assurément le gouvernement britannique, tenaient généralement pour une observation juste et méritée. il n’y avait pourtant pas trace d’escadrons de la mort sous le gouvernement sandiniste. il n’y avait pas trace de tortures. il n’y avait pas trace de brutalité militaire, systématique ou officielle. aucun prêtre n’a jamais été assassiné au nicaragua. il y avait même trois prêtres dans le gouvernement sandiniste, deux jésuites et un missionnaire de la société de maryknoll. les «donjons totalitaires» se trouvaient en fait tout à côté, au salvador et au guatemala. les états-unis avaient, en 1954, fait tomber le gouvernement démocratiquement élu du guatemala et on estime que plus de 200.000 personnes avaient été victimes des dictatures militaires qui s’y étaient succédé . en 1989, six des plus éminents jésuites du monde ont été violemment abattus à l’université centraméricaine de san salvador par un bataillon du régiment alcatl entraîné à fort benning, géorgie, usa. l’archevêque romero, cet homme au courage exemplaire, a été assassiné alors qu’il célébrait la messe. on estime que 75.000 personnes sont mortes. pourquoi a-t-on tué ces gens-là? on les a tués parce qu’ils étaient convaincus qu’une vie meilleure était possible et devait advenir. cette conviction les a immédiatement catalogués comme communistes. ils sont morts parce qu’ils osaient contester le statu quo , l’horizon infini de pauvreté, de maladies, d’humiliation et d’oppression, le seul droit qu’ils avaient acquis à la naissance. les états-unis ont fini par faire tomber le gouvernement sandiniste. cela leur prit plusieurs années et ils durent faire preuve d’une ténacité considérable, mais une persécution économique acharnée et 30.000 morts ont fini par ébranler le courage des nicaraguayens. ils étaient épuisés et de nouveau misérables. l’économie «casino» s’est réinstallée dans le pays. c’en était fini de la santé gratuite et de l’éducation gratuite. les affaires ont fait un retour en force. la «démocratie» l’avait emporté. mais cette «politique» ne se limitait en rien à l’amérique centrale. elle était menée partout dans le monde. elle était sans fin. et c’est comme si ça n’était jamais arrivé. les états-unis ont soutenu, et dans bien des cas engendré, toutes les dictatures militaires de droite apparues dans le monde à l’issue de la seconde guerre mondiale. je veux parler de l’indonésie, de la grèce, de l’uruguay, du brésil, du paraguay, d’haïti, de la turquie, des philippines, du guatemala, du salvador, et, bien sûr, du chili. l’horreur que les états-unis ont infligée au chili en 1973 ne pourra jamais être expiée et ne pourra jamais être oubliée. des centaines de milliers de morts ont eu lieu dans tous ces pays. ont-elles eu lieu? et sont-elles dans tous les cas imputables à la politique étrangère des états-unis? la réponse est oui, elles ont eu lieu et elles sont imputables à la politique étrangère américaine. mais vous n’en savez rien. ça ne s’est jamais passé. rien ne s’est jamais passé. même pendant que cela se passait, ça ne se passait pas. ça n’avait aucune importance. ça n’avait aucun intérêt. les crimes commis par les états-unis ont été systématiques, constants, violents, impitoyables, mais très peu de gens en ont réellement parlé. rendons cette justice à